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C'est La Ouate Qu'ils Préfèrent

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title C'est La Ouate Qu'ils Préfèrent
author Joseph Ghosn
publication Les Inrockuptibles
date 2005/11
issue 520
pages 52-54



"C'est La Ouate Qu'ils Préfèrent" was an interview (in French) by Joseph Ghosn originally published November 2005 in Les Inrockuptibles magazine Number 520 pp.52-54


Original Text

This is an original text copied verbatim from the original source. Do not edit this text to correct errors or misspellings. Aside from added wikilinks, this text is exactly as it originally appeared.

C'est La Ouate Qu'ils Préfèrent 


Encore peu d'albums pour ce duo mais déjà une influence écrasante sur la musique électronique. Eux puisent leur inspiration chez Brian Eno et Neil Young. Rencontre en Ecosse avec un groupe discret.


Par Joseph Ghosn


'"Qui est ce type qui a l'air très connu en France ... ? Michel Polnareff ?"' Voilà la question que posent d'emblée les Boards Of Ca¬nada, comme pour dire que, non, on ne va pas passer notre temps à parler de musique électronique. Michel Polnareff, donc, est bien la porte d'entrée inattendue dans l'univers de ce duo écossais qui, au cours des dix dernières années, s'est taillé une réputation avoisinant le mythe, débordant de légendes, de racontars et de ragots, dont la plupart sont nés dans les nombreux forums et webzines consacrés aux arcanes de l'electronica sur le Net. Dans ces officines virtuelles, Boards Of Canada est l'icône la plus vénérée : en une petite poignée de disques, le groupe a réussi à créer un son, à imposer une esthétique qui a été incroyablement pillée, copiée, piratée. Dans l'histoire récente de la pop, il n'y a pas de groupe qui soit aussi confidentiel et discret tout en étant aussi influent.


Dès sa sortie, en 1998, Music Has the Right to Children, le premier album du groupe, est considéré comme un disque essentiel, parent des excursions atmosphériques de Brian Eno, mais aussi du rock psychédélique millésimé années 60, du hip-hop des années 80, dont les rythmiques ralenties sont une des sources d'inspiration des Ecossais, et de la techno des années 90, qu'ils éloignent de l'abstraction, imposant d'élégantes narrations et circonvolutions entêtantes, hypnotiques et élégiaques.


Entre 1987 et 1996, plusieurs cassettes, désormais rarissimes, avaient déjà été éditées par le groupe : Acid Memories, Play by Numbers, A Few Old Tunes Vol.1 & et Vol.2, Boc Maxima ... Autant d'artefacts dont on ne trouve plus guère de traces, sinon sur des sites officieux, le groupe ayant retiré de son site officiel la liste exhaustive de ses œuvres pour ne pas attiser la convoitise des fans. Au total, toutes ces premières ébauches d'albums contiennent près de cent cinquante morceaux, dont la quintessence a servi de matière première pour l'élaboration de Music Has the Right to Children.


Entre cet album et son successeur Geogaddi, sorti en 2002 (tous deux vendus à plus de 200 000 exemplaires - une réussite commerciale impressionnante pour un groupe aussi secret et pour le label indépendant Warp), quatre ans se sont écoulés, à peine comblés par la sortie de In a Beautiful Place out in the Country, disque comportant quatre titres à la beauté pastorale inquiète. Quatre années de quasi-silence donc, durant lesquelles Boards Of Canada a gagné une réputation de reclus, amplifiée par le fait que les rares interviews accordées à la presse étaient obligatoirement données par courrier électronique.


rock electro rap • Rencontre en Ecosse avec Boards Of Canada


Trois ans plus tard, l'étonnement est donc à son comble lorsque les deux musiciens décident de recevoir à Edimbourg, comme s'ils prenaient enfin acte de l'impossibilité de leur isolement et de l'extension inattendue de l'influence de leur musique. Désormais, ils reçoivent des lettres de fans en permanence, de pays où leurs disques ne sont même pas vendus, et c'est peut-être ça qui les a décidés à sortir au grand jour, pour éviter sans doute qu'on parle à leur place et qu'ils ne deviennent des objets de fantasme plutôt que des musiciens, qu'on s'intéresse à leurs secrets plutôt qu'à leur production.


En arrivant à Edimbourg, belle pièce d'antiquité gothique, on s'attend à tout sauf à rencontrer des musiciens bavards, généreux de leur parole et de leur temps. Or, c'est précisément ce que sont Michael Sandison et Marcus Eoin : deux trentenaires attentifs et sensibles, qui ont vraiment grandi au Canada, où leurs parents sont partis travailler, et viennent de dévoiler qu'ils sont en fait frères.

J'ai commencé à faire de la musique vers l'âge de 7 ans,
explique Mike Sandison.
Et je ne me suis rendu compte que récemment d'une particularité que je pensais partager avec l'humanité entière: j'entends en permanence des mélodies dans ma tête, et j'ai longtemps pensé que c'était le cas de tout le monde.
Implicitement, le projet même de Boards Of Canada consiste donc en partie à saisir ces précieuses mélodies qui hantent le cerveau du musicien et à tenter de les restituer au sein de vignettes impeccablement troussées, délicatement émaillées.


Pourtant; malgré leur envie de parler, les deux Ecossais sont loin de tout révéler de leurs vies ou méthodes de travail, et ferment toujours la porte de leur domicile et de leur studio : ils en possèdent d'ailleurs chacun un - les deux derniers titres du nouvel album, si semblables et formant une suite logique, ont ainsi été réalisés séparément.


Leur voiture, par contre, n'est pas un terrain interdit : on y parcourt la ville à la recherche d'un endroit pour boire et parler au calme. Tout en faisant ainsi un petit tour d'Edimbourg, on y découvre que Mike et Marcus aiment écouter les Buzzcocks et Will Oldham. Plus tard, ils avoueront que les influences majeures de leur nouvel album n'ont rien d'électronique mais sont plutôt ancrées au début des années 70 : les albums de Joni Mitchell, James Taylor ou Neil Young sont ainsi les étonnantes figures tutélaires de leurs morceaux les plus récents.


Pour autant, le son du groupe ne s'est pas entièrement métamorphosé, ne s'est pas mué en une suite de comptines jazzy, de vignettes folk ou d'excursions rock. Au contraire, dès les premières notes, les marques de fabrique du groupe s'imposent immédiatement, créant un très ambivalent sentiment de familiarité, comme si l'on regardait de vieux films en super-B, qui font d'abord croire qu'on est là en terrain plus que connu, que ce n'est pas la peine d'avancer davantage.


L'erreur, bien sûr, serait de s'arrêter à ces impressions de déjà-vu. Car The Campfire Headphase va au-delà des autres albums de Boards Of Canada, au-delà de beaucoup d'autres albums sortis en 2005.
Geogaddi était un reflet de son époque. En le composant, nous réagissions au monde tel qu'il était en train de se modifier sous nos yeux : le 11 Septembre est arrivé alors que nous étions en plein travail de studio, et les événements ont fait que nous étions collés à la télé tout le temps. Le disque a donc pris un tournant plus sombre à cause de ça. Désormais, le monde est bien plus sombre encore qu'auparavant. Il est plus incertain, plus chaotique. Ce nouvel album a été un moyen non pas de refléter ça, mais plutôt de l'ignorer, de s'en échapper : une tentative d'évasion. Nous avons tenté de nous en isoler, d'ignorer l'extérieur pour essayer de revenir à des temps plus naïfs. Ce nouvel album est plus pop et nous avons surtout voulu le construire comme une sorte de road-movie.


Effectivement, Boards Of Canada a ajouté à ses habituels filtres et structures électroniques des guitares et des percussions, qui donnent à l'ensemble un air d'architecture ancrée dans une terre aux fondations stables mais en même temps étrangement mouvantes. Il y a ainsi beaucoup de fragilité dans cette musique, qui semble toujours en équilibre entre le sommeil et l'éveil, forme un cocon aquatique qui plonge son auditeur dans un univers de rêverie vaguement mélancolique, mais toujours réconfortante.


The Campfire Headphase s'écoute ainsi comme si l'on regardait un croisement entre des films de Hou Hsiao-hsien et de Wes Anderson, faussement délétères et dont les atmosphères imprègnent durablement la rétine, les oreilles. Autant d'impressions et de sensations qui, imperceptiblement, modifient la manière dont on écoute la musique et affectent surtout la perception de la vie en train de se tisser, doucement, délicatement.


The Campfire Headphase (Warp/Pias).



Translated text

It's The Wadding They Prefer


Few albums for this duo, but already an overwhelming influence on electronic music. They draw their inspiration from Brian Eno and Neil Young. Meeting in Scotland with a discreet group.


By Joseph Ghosn

"Who is this guy who seems very famous in France... ? Michel Polnareff?"

That's the question Boards Of Canada immediately ask, as if to say that no, we're not going to spend our time talking about electronic music. So, Michel Polnareff is indeed the unexpected entry point into the universe of this Scottish duo which, over the past ten years, has built a reputation bordering on myth, overflowing with legends, rumors, and gossip, most of which originated in the many forums and webzines dedicated to the arcane electronica on the Internet. In these virtual workshops, Boards Of Canada is the most revered icon: with just a handful of records, the group has managed to create a sound, impose an aesthetic that has been incredibly plundered, copied, pirated. In recent pop history, there is no group as confidential and discreet while being so influential.


From its release in 1998, Music has the Right to Children, the group's first album, was considered an essential record, a kin of Brian Eno's atmospheric excursions, but also of the vintage 60s psychedelic rock, the 80s hip-hop whose slowed-down rhythms are one of the sources of inspiration for the Scots, and 90s techno, which they distance from abstraction, imposing elegant narratives and haunting, hypnotic, elegiac convolutions.


Between 1987 and 1996, several cassettes, now extremely rare, had already been released by the group: Acid Memories, Play by Numbers, A Few Old Tunes Vol.1 & Vol.2, Boc Maxima... All artifacts barely traceable except on unofficial sites, the group having removed the exhaustive list of their works from their official website to avoid stirring up fan covetousness. In total, all these early album drafts contain nearly one hundred and fifty tracks, the quintessence of which served as raw material for the development of Music has the Right to Children.


Between this album and its successor Geogaddi, released in 2002 (both sold over 200,000 copies - an impressive commercial success for such a secretive group and for the independent label Warp), four years passed, barely filled by the release of In a Beautiful Place out in the Country, a record featuring four tracks of uneasy pastoral beauty. Four years of near silence, during which Boards Of Canada earned a reputation as recluses, amplified by the fact that the rare interviews given to the press were necessarily conducted via email.


electro rock rap • Meeting in Scotland with Boards Of Canada


Three years later, the amazement is therefore at its peak when the two musicians decide to meet in Edinburgh, as if finally acknowledging the impossibility of their isolation and the unexpected extension of their music's influence. They now receive fan letters constantly, from countries where their records aren't even sold, and perhaps that's what prompted them to come out, to avoid being spoken for and becoming objects of fantasy rather than musicians, to focus interest on their secrets rather than their production.


Arriving in Edinburgh, a beautiful piece of Gothic antiquity, one expects anything but to meet talkative musicians, generous with their words and time. Yet, that's precisely what Michael Sandison and Marcus Eoin are: two attentive and sensitive thirty-somethings who indeed grew up in Canada, where their parents went to work, and have just revealed they are actually brothers.

“I started making music around the age of 7"

, explains Mike Sandison.

“And I only recently realized a peculiarity I thought I shared with the entire humanity: I constantly hear melodies in my head, and for a long time, I thought this was the case for everyone.”

Implicitly, the very project of Boards Of Canada consists in part of capturing these precious melodies haunting the musician's brain and attempting to render them within impeccably crafted, delicately enameled vignettes.


However, despite their willingness to talk, the two Scots are far from revealing everything about their lives or work methods, always closing the door of their home and studio: each has one - the last two tracks of the new album, though similar and forming a logical sequence, were created separately.


Their car, on the other hand, is not off-limits: we roam the city looking for a place to drink and talk calmly. During this little tour of Edinburgh, we discover that Mike and Marcus love listening to the Buzzcocks and Will Oldham. Later, they will confess that the major influences on their new album are not electronic but rather rooted in the early 70s: albums by Joni Mitchell, James Taylor, or Neil Young are thus the surprising guiding figures of their most recent tracks.


Nevertheless, the group's sound hasn't entirely metamorphosed, hasn't turned into a series of jazzy lullabies, folk vignettes, or rock excursions. On the contrary, from the first notes, the group's trademarks immediately impose themselves, creating a very ambivalent feeling of familiarity, as if watching old super-8 films, making one initially believe they are in well-known territory, with no need to venture further.


The mistake, of course, would be to stop at these déjà-vu impressions. For The Campfire Headphase goes beyond other Boards Of Canada albums, beyond many other albums released in 2005.


Geogaddi reflected its time. While composing it, we were reacting to the world as it was changing before our eyes: 9/11 happened while we were deep in studio work, and the events made us glued to the TV all the time. The album took a darker turn because of that. Now, the world is much darker than before. It is more uncertain, more chaotic. This new album was a means not to reflect that but rather to ignore it, to escape from it: an attempt at evasion. We tried to isolate ourselves from it, to ignore the outside in an effort to return to more naive times. This new album is more pop, and we especially wanted to build it like a sort of road movie.


Indeed, Boards Of Canada has added to their usual electronic filters and structures guitars and percussion, giving the whole a sense of architecture anchored in solid foundations but at the same time strangely shifting. There is thus a lot of fragility in this music, which always seems balanced between sleep and wakefulness, forming an aquatic cocoon that immerses the listener in a universe of vaguely melancholic but always comforting reverie.


The Campfire Headphase thus listens as if watching a cross between films by Hou Hsiao-hsien and Wes Anderson, deceptively deleterious and whose atmospheres linger on the retina and ears. So many impressions and sensations that imperceptibly change the way one listens to music and especially affect the perception of life being woven, gently, delicately.


The Campfire Headphase (Warp/Pias).


Scans

Highlights

  • Mike: “I constantly hear melodies in my head, and for a long time, I thought this was the case for everyone.”
  • They confess that the major influences on their new album are not electronic but rather rooted in the early 70s: albums by Joni Mitchell, James Taylor, or Neil Young are thus the surprising guiding figures of their most recent tracks.
  • The Campfire Headphase was a means not to reflect the much darker post 9/11 world, but rather to ignore it, to escape from it: an attempt at evasion.
  • The Campfire Headphase is more pop, and they especially wanted to build it like a sort of road movie.

External Links


References